L’histoire de l’entreprise commence sur les marchés, au milieu des années 70. Dimitrios et Ioanna Carras vendent des produits grecs traditionnels. Après quinze ans d’activité, ils doivent remettre l’affaire pour des raisons de santé. La page des marchés se tourne. C’est dans la production et le conditionnement au détail qu’ils vont se reconvertir. Le hasard n’y est pas étranger. Un beau jour, une cliente demande à Ioanna de lui préparer du tarama (spécialité à base d’œufs de poisson) pour un banquet de mariage. Il y en a trop : l’excédent doit être écoulé. Ca marche : les consommateurs apprécient.
De l’artisanat à la production à la chaîne
Elle décide alors d’installer un atelier de fabrication dans sa cave de Wanfercée-Baulet. Et elle prend son bâton de pèlerin pour convaincre des acheteurs de tester sa marchandise. Les débuts sont pénibles. Pour se faire connaître des grossistes, l’entreprise participe à la foire de Courtrai, son premier événement à caractère professionnel, en 1992. Les produits grecs sont méconnus sur le marché, l’offre essuie des refus. Croire que Ioanna Carras va se désespérer, c’est mal connaître cette femme à laquelle il arrive pourtant d’avoir envie de tout arrêter dans des moments de découragement. Elle s’obstine, persuadée que ses produits vont s’imposer. Le temps va lui donner raison : comme le tarama, le tzaziki, à base de fromage blanc et d’ail, devient un grand classique. Le couple investit, ses deux filles expatriées en Grèce reviennent l’aider à développer la PME. Grâce aux conseils en marketing du centre Héraclès (le nom de Karras avec un K va s’imposer parce qu’il évoque davantage la Grèce) et à l’appui d’un spécialiste en conditionnement, le concept de l’assiette mezze apparaît. C’est lui qui va faire exploser les ventes et populariser le hors d’œuvre composé. La PME entre d’abord chez Mestdagh-Champion en 95. Tous les autres distributeurs vont suivre –sauf deux. La production artisanale évolue vers des fabrications à la chaîne. Leur nombre vient de passer à cinq lignes polyvalentes. En 2003, la SA Karras occupe 27 travailleurs sur son site de Fleurus.
Une offre adaptée
Les recettes sont adaptées aux goûts de chaque client : on poivre ou on sale moins, on modifie la consistance des préparations à la demande. Mais si le prix est un élément important, la qualité l’est davantage pour les Carras. Ce n’est pas pour rien si leurs « classiques » -tarama et tzatziki- sont sortis premiers de tests de dégustation dans la presse. En dehors de la modulation de son offre, l’entreprise qui ne travaille quasiment que sur commande pour la distribution se distingue par sa rapidité de livraison. Les dépôts sont servis le jour même. Pour répondre aux attentes du consommateur, les conditionnements se diversifient (emballage en barquettes et raviers de différents poids, usage de plusieurs modèles d’assiettes), de nouveaux produits élargissent la gamme, comme l’assiette gourmet et son assortiment de hors d’œuvres en sauce (tarama, tzatziki, caviar d’aubergine, houmous à base de pois chiches, ktipiti à base de feta) ou les snacks mezze avec leur compartiment de gressins à tremper dans les mêmes préparations en petites portions. Si en Belgique, les parts de marché augmentent grâce à une progression continue de la consommation, Karras réalise un petit 20% de chiffre d’affaires à l’export à la fin 2003. Ses produits prennent surtout la direction de la Hollande et de la France. Pour l’étranger, l’assiette mezze dont le look vient de changer (nombre de compartiments réduit) dispose d’un emballage spécial. A côté des chaînes de magasins, Karras continue à approvisionner les marchands ambulants en produits en vrac.
Deux générations de Carras
Ioanna et Dimitri Carras ont fondé l’entreprise à la fin des années 80. Ils l’ont développée avec leurs deux filles Rita et Irène. Leur PME 100% familiale se veut à l’écoute des besoins du client et des demandes du marché. « Nous sommes des commerçants » résume Ioanna Carras. « Nous répondons donc aux attentes des distributeurs en termes d’offres de produits, mais aussi de service et de prix dans le même souci de qualité absolue. » La production répond aux commandes dans des délais extrêmement courts, ce qui limite les stocks et augmente la fraîcheur. Depuis 2001, l’atelier dispose d’une capacité accrue. C’est l’époque à laquelle les bâtiments de Fleurus ont été agrandis. Leur surface est passée à 2400 mètres carrés sur deux niveaux. Au rayon des nouveautés, une référence viendra compléter l’assortiment de produits à la fin du quatrième trimestre 2003. Si le chiffre d’affaires doit profiter de la progression de la consommation qui le tire par le haut depuis dix ans, la priorité de Ioanna Carras pour les années qui viennent, c’est le succès à l’export. « Les potentialités y sont énormes et nous y sommes encore trop peu présents » dit-elle. Son mari supervise le fonctionnement de l’ensemble des services. Rita s’occupe de l’administration et Irène de la comptabilité.
Expériences d’entrepreneurs en 4 questions et réponses
Quelle idée nouvelle est à la base de la création de votre entreprise ?
Nous voulions promouvoir la consommation des produits traditionnels grecs dans la grande distribution, les introduire au même titre que d’autres plats étrangers. En fait, il s’agissait d’offrir au client de supermarché des spécialités qu’il ne pouvait trouver qu’en commerce spécialisé, ou sur les marchés. Et conditionner en portions individuelles ces produits importés en vrac. L’idée de concevoir une assiette composée (mezze) –inspirée par un acheteur de grande surface – a accéléré notre succès commercial et contribué à faire connaître notre gamme, si bien qu’en l’espace de dix ans, notre chiffre d’affaire a quadruplé.
Quelle est la plus grande difficulté que vous ayez rencontrée pour créer ou développer votre entreprise ?
Convaincre les acheteurs de nous faire confiance à une époque où les produits traditionnels de Grèce étaient encore largement méconnus. Il a fallu nous acharner à les pousser à prendre ce risque qui s’est révélé payant. Aujourd’hui, tout le monde ou presque a goûté du mezze. La feta est entrée dans les habitudes de consommation, au même titre que le tarama ou le tzatziki. Ce n’est pas encore aussi courant que la pizza, mais on est loin des pénibles débuts de la fin des années 80.
Quelle est la plus grande joie ou satisfaction que vous a procuré votre entreprise et –si c’est le cas- pourquoi n’auriez vous pas pu vivre la même chose en tant qu’employé ?
Le bonheur de la création est permanent dans une activité comme la nôtre. Nous mettons des produits au point, des conditionnements qui plaisent à nos acheteurs et aux consommateurs. Notre assortiment évolue. Il y a aussi la satisfaction d’avoir bien mené notre projet commercial et industriel. C’est sans rapport avec l’argent. Nous retirons d’autres sources de bien-être de l’entreprise comme par exemple l’emploi qu’elle procure à 27 travailleurs.
Quel petit « truc » proposeriez-vous à un jeune entrepreneur ?
De savoir se montrer patient. Dans notre société du « tout tout de suite », c’est une qualité que l’on a tendance à perdre de vue. A vouloir aller trop vite, il arrive pourtant souvent qu’on se plante dans ce qu’on entreprend. Prendre le temps réclame de la persévérance. La ténacité est un élément de la réussite. Quand on est convaincu de son succès, il faut s’obstiner à en persuader les autres.


















