Après le Bilicrystal utilisé dans la thérapie de l’ictère des nouveaux nés, la PME de Charleroi collabore avec des cliniques universitaires françaises à la mise au point d’un super-incubateur permettant d’amener à terme des embryons âgés d’à peine vingt à vingt-deux semaines.
Dans ses formes les plus agressives, l’ictère du nouveau né –appelé communément jaunisse- peut entraîner la mort, ou causer de graves altérations de santé. Il ressort d’une étude de l’OMS que 90% des prématurés en sont atteints à la naissance, et près de 50% des enfants nés à terme. Pour éviter le recours à des thérapies traumatisantes comme la redoutable exanguino-transfusion qui consiste à remplacer tout le sang du sujet infecté, Lucien Gysens a conçu un appareil de photothérapie intensive. Homologué en 1998, le « Bilicrystal » réduit le temps de thérapie de quatre jours à quatre heures, par l’action de son spectre lumineux. En 2001, au terme de quatre ans de fonctionnement en milieu hospitalier, la première génération de machines a été remplacée par un appareil répondant aux exigences les plus pointues des utilisateurs.
Révolution technologique
Comme l’explique le concepteur, l’innovation n’est pas seulement dans l’usage d’un matériau plus résistant (le polycarbonate), ni même dans le design. « La révolution est technologique », indique Lucien Gysens. « Nous nous trouvons en présence d’une machine entièrement servo-commandée, dont les sondes tiennent l’enfant sous surveillance constante. La moindre anomalie –cardiaque, respiratoire, de température- déclenche aussitôt une alarme. » La gamme compte quatre modèles, du plus complet qui équipe généralement les gros services de néonatologie au transportable, développé à la demande des pays dans lesquels les distances entre les cliniques justifient des prêts à domicile, comme le Québec. Car si les ambitions commerciales étaient limitées à la création de Medestime, les résultats d’études de marché financées par l’Awex ont montré que la PME pouvait espérer vendre plus de 30.000 pièces en Europe à l’horizon 2008. On est loin des 65 exemplaires placés en Belgique et en France entre 98 et fin 2000. « Depuis, nous avons déposé des brevets partout dans le monde. Des succès commerciaux sont venus couronner nes efforts d’exportation en Espagne, au Maroc, en Hollande et au Moyen-Orient, avec la Turquie et le Portugal en point de mire. » La prestigieuse homologation MDA ouvre la porte des marchés anglo-saxons. En particulier celui des Etats-Unis où la PME fera fabriquer son produit sous licence, comme il est également prévu de le faire au Japon.
Un super-incubateur homologué en 2005
Le « Bilicrystal » est fabriqué en sous-traitance, en série limitée (just in time). Il est assemblé à Marcinelle (rue des Francs) au nouveau siège de l’entreprise qui collectionne les prix : lauréate de l’innovation scientifique en 98, titulaire du grand prix partenaires d’entreprises en 99, des success story européen et mondial la même année et de l’ « health innovation ». De nombreuses certifications et homologations complètent sa carte de visite. Il faut ajouter qu’en 2003, les produits de Medestime sont présents sur quatre des cinq continents.
Pour diversifier son activité, la PME collabore avec des hôpitaux universitaires français à la recherche et développement d’un super incubateur permettant d’amener à terme des embryons âgés d’à peine vingt à vint-deux semaines (un nouveau né de 26 semaines est considéré comme un grand prématuré). « Nous avons reconstitué l’atmosphère intra utérine » explique Lucien Gysens. « Milieu humide, pression positive pour faciliter l’ouverture des alvéoles pulmonaires, deux prototypes fonctionnent. » Sous la direction du président des néonatologues européens, la campagne de tests cliniques donne d’encourageants résultats. « Après deux ans de travail, nous avons déjà multiplié par vingt les chances de survie. » L’objectif est d’obtenir l’homologation de la machine pour l’horizon 2005.
Lucien Gysens
Cadre d’une grande entreprise médicale qui opère dans le secteur de l’anesthésie et de la réanimation, Lucien Gysens identifie au début des années 90 une lacune dans le traitement de l’ictère des nouveaux-nés. Il étudie une solution et en parle au Pr Alfred Sender, qui dirige le centre d’hémobiologie périnatale de Paris (hôpital saint Antoine). Devant l’enthousiasme du spécialiste, il va s’embarquer dans une aventure scientifique et commerciale dont il n’imagine pas encore les difficultés. Sa passion, pourtant, viendra à bout de tous les obstacles. « Ce qui nous a manqué, c’est une force de vente pour imposer notre produit. » admet-il. « Nous avons voulu en garder la maîtrise et constituer nous-même notre réseau de distribution. Nous allons bientôt récolter les fruits d’un investissement personnel de 375.000 euros et de huit années de travail en recherche et développement. » En 2003, Lucien Gysens voit le bout du tunnel. Il se félicite de l’appui des organismes qui l’ont accompagné dans son projet, sa prospection à l’étranger.
Expériences d'Entrepreneurs en 4 questions et réponses.
. Quelle idée nouvelle est à la base de la création de votre entreprise ?
C’est un manque dans le domaine de la néonatologie qui m’a amené à créer Médestime. Lors des congrès de médecine auxquels je participais dans le cadre de mon activité salariée, j’entendais souvent dire qu’il existait des niches non exploitées. Le traitement des ictères par exanguino-transfusions m’a touché : je voulais y apporter une solution efficace.
. Quelle est la plus grande difficulté que vous ayez rencontrée pour créer ou développer votre entreprise ?
Le manque d’appui financier. Avec mon épouse, nous avons dû engager des moyens qui nous étaient propres, nous nous sommes véritablement démunis pour développer notre projet. En fait, nous n’avions pas le choix : pour avancer, nous avions besoin d’un prototype, il fallait donc en financer la conception. Nous avons eu seulement accès aux aides publiques par la suite.
. Quelle est la plus grande joie ou satisfaction que vous a procuré votre entreprise et –si c’est le cas- pourquoi n’auriez vous pas pu vivre la même chose en tant qu’employé ?
Ma plus grande satisfaction, c’est de pouvoir contribuer à l’amélioration de la santé, de la qualité de la vie. Mes appareils « Bilicrystal » épargnent des traitements lourds à des bébés, des traumatismes à leurs mamans. Que pourrais-je attendre de mieux ? Ce projet, je n’aurais jamais obtenu l’accord de le développer pour le compte d’un employeur. Il comprenait trop de risques quand je l’ai imaginé. J’ai aussi le bonheur de figurer parmi les cinquante PME les plus innovantes de la région de Charleroi. La reconnaissance de mon produit, sur le plan scientifique et médical, est une autre source de satisfaction pour moi.
. Quel petit « truc » proposeriez-vous à un jeune entrepreneur ?
Je lui dirais de ne pas avoir peur d’entreprendre. Il y a encore énormément de choses à faire, de projets à développer : on a besoin d’initiatives. Je pense qu’il n’existe pas d’obstacle qui ne puisse être vaincu quand on se montre persévérant. La Wallonie met des moyens à la disposition des PME qui en veulent. Il faut les saisir.


















